Lumière

 

On raconte qu’une princesse avait juré de n’épouser qu’un homme entre tous poétique, surprenant, imaginatif. Elle fit donc publier partout que seul partagerait son lit celui qui se rendrait capable d’emplir sa chambre en un seul jour, du parquet aux coins du plafond et d’un mur à celui d’en face, de l’emplir de ce qu’on voudrait pourvu que rien n’y reste vide. Les prétendants s’en vinrent donc avec des charretées de paille, des ballots de sable, de plumes, de chiffons ou de confetti. Ils entassèrent, accumulèrent et s’échinèrent jusqu’au soir. Aucun ne put combler l’espace à ras-bord, comme il le fallait.

 

Vint enfin un matin un jeune homme frisé, insouciant, simple d’allure, sans rien d’autre que son bon air. Il passa la moitié du jour à faire la conversation à la princesse, à ses servantes. L’après-midi il fit la sieste, affalé sur le canapé, puis il se fit servir le thé. Enfin, comme le soir venait, il ouvrit posément son sac, en sortit un vieux chandelier, en cuivre terne, cabossé, planta dedans une bougie, battit son briquet, l’alluma et la lumière fut partout, jusqu’aux quatre coins de la salle.

 

La plupart des conteurs finissent là l’histoire. Il arrive pourtant qu’elle soit poussée plus loin.

 

Il paraît qu’au soir de la noce la princesse dit au garçon :

- Tu n’as pas vraiment satisfait à mon exigence première. Il est, dans mon appartement, un lieu demeuré dans le noir.

- Lequel ? demanda le jeune homme.

- Le cercle sous le chandelier, à l’endroit où tu l’as posé.

- Et pourquoi n’en as-tu rien dit ?

- Parce que je suis, dit la princesse, toute semblable à cette chambre que tu as emplie de lumière. Je garde et garderai toujours, comme elle, une part de ténèbres, de mystérieuse obscurité où personne, jamais, ne pourra pénétrer.

 

(Henri Gougaud, Le livre des chemins)

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